23112024

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Loi de finances

Pacte Dutreil : responsabilité du professionnel mandaté


DONATION

Dans cette affaire inédite un chef d’entreprise et son épouse reprochaient à un cabinet d’avocat d’avoir manqué à leur devoir de conseil pour céder leur société dans les meilleures conditions. Un enjeu à plusieurs millions d’euros !

 

Deux époux ont souhaité faire donation à leur deux enfants d'actions de leur société financière de gestion, laquelle holding possède 100% du capital de la société Standard Industrie (dont le mari est PDG), et placer cette donation sous le bénéfice du dispositif Dutreil prévu par l'article 787 B du code général des impôts permettant l’exonération de 75 % des droits de mutation des parts d'une entreprise familiale transmises par donation entre vifs. Pour ce faire les actions transmises doivent faire l'objet d'un engagement de conservation pris par le donateur et ses ayants cause à titre gratuit.

Par acte sous seing privé du 10 juin 2011 rédigé par une avocate lilloise, un engagement collectif de conservation a été pris sur 44 000 actions de la SAS Standard Industrie sur les 44 200 constituant son capital en vue d'une donation-partage aux deux enfants. Cet engagement collectif de conservation des titres a été enregistré le 15 juin 2011 et conclu pour une durée de deux ans à compter de la date d'enregistrement, avec clause de prorogation tacite pour une durée indéterminée.

En décembre 2012, le mari a mandaté un avocat d’un autre cabinet, en l’espèce Fidal, pour rédiger les attestations annuelles de conservation des titres à adresser au service des impôts.

En novembre 2017, l’avocate lilloise a conseillé à la société financière de gestion de mettre fin à la période d'engagement collectif reconductible afin de faire débuter la période d'engagement individuel de conservation des titres par les donataires, pour la durée de quatre ans prévue par le dispositif fiscal. Dès lors l'engagement collectif a cessé fin décembre 2017 afin que les engagements individuels des donataires puissent commencer pour s'achever fin 2021.

Une perte de chance

En juillet 2019, les époux ont mis en cause la responsabilité civile professionnelle du cabinet Fidal, lui reprochant d`avoir omis de mettre un terme à la période d'engagement collectif dès que possible, soit en juin 2013, ce qui aurait permis de céder la société plus tôt et dans de meilleures conditions. D’où un contentieux devant le tribunal puis la cour d’appel d’Amiens. L’enjeu invoqué est une perte de chance de vendre la société cible. Un préjudice financier évalué par les deux époux à 2,216 M€.

Les époux reprochent au cabinet Fidal en charge des attestations annuelles -et non à l’avocate qui a rédigé le document initial- d'avoir manqué à son obligation d'information sur la reconduction automatique de l'engagement collectif et ses conséquences. En première instance les juges font droit à la requête.

La décision de la cour d’appel sur cette question de responsabilité professionnelle est en sens inverse ; elle rappelle qu’il est « de jurisprudence constante que le devoir de conseil de l'avocat s'exerce dans les strictes limites de la mission que lui a confiée son client et que l'avocat n'a pas à informer son client de ce qu'il sait ou doit nécessairement savoir » (en ce sens Cass. 1ère 30 mai 2012 n°11-16.944).

Sous leur propre responsabilité

Dans cette affaire les magistrats relèvent que les époux n’ont « délégué à aucun moment à Fidal la gestion de leurs droits patrimoniaux et notamment la faculté d'exercer en leur nom l'option d'engagement individuel de détention prévue aux actes... Dès lors, les consorts ont conservé la libre disposition de leurs droits sous leur propre responsabilité durant toute la période de prorogation de l'engagement collectif de détention. Il ne peut être soutenu par ailleurs que Fidal se devait d'informer ses clients de stipulations établies en toute connaissance de cause par eux-mêmes et de leur propre initiative ».

Cette décision peut sembler sévère dès lors que l’avocat est un sachant en charge d’établir une attestation annuelle d’engagement auprès de l’administration fiscale. Oui mais les deux époux, en l’occurrence, ne l’ont pas mandaté pour les conseiller ! Devant un tel enjeu fiscal et financier ils ont fait un choix, estime la cour d’appel, « conserver la libre disposition de leurs droits », donc à eux de gérer cette question clé des délais pour céder leur société de façon optimale. Funeste erreur !

Evidemment, si le pacte Dutreil est rédigé avec un objectif de donation prévu à l’avance, dans ce cas il convient de stipuler juste la durée minimum de deux ans. Mais en cas d’engagement sans objectif ferme de transmission, alors effectivement la rédactrice prévoit une durée tacitement reconductible après les deux ans, ce qui suppose de suivre cette opportunité de transmission et de prévoir à tout le moins qu’un décès ou une donation interrompra cette reconduction.

(Cour d'appel d'Amiens, 21 mars 2024, RG n° 22/04964 1ère Chambre civile)