23112024

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Loi de finances

Fraude fiscale : l’aviseuse de l’affaire UBS n’a droit à rien

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Dans cette fameuse affaire, concernant cette banque suisse sanctionnée par la justice française pour avoir prospecté en France auprès de Français désireux d’échapper au fisc français, un aviseuse -informatrice- avait tout dévoilé à l’administration et à ce titre réclamait une prime conséquente. La justice a rejeté sa demande.

 

 

Cette aviseuse réclamait une rémunération à hauteur de 3,5 M€ (sur le fondement de l’article L. 10-0-AC du livre des procédures fiscales). Comparé à l’ampleur de la fraude dévoilée, estimée par l’accusation à 9,6 Md€, ce montant semblait dérisoire (0,04% !).
Cette ancienne directrice du marketing de la filiale française de la banque suisse UBS, durant un peu plus de 12 ans, déclarait avoir transmis à l’administration fiscale des informations visant à dénoncer des faits constitutifs de blanchiment de fraude fiscale et de démarchage bancaire illicite. L’administration a refusé cette requête au motif que les renseignements ont été transmis antérieurement au 1er janvier 2017, donc ils ne pouvaient pas être rétribués en application de règles entrées en vigueur postérieurement (article 4 de l’arrêté du 21 avril 2017 pris pour l’application de l’article 109 de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017) (1). Par un jugement n° 2101809/1 du 7 juillet 2022, le tribunal administratif de Montreuil a annulé cette décision de la DGFIP et exigé un réexamen de cette demande de rémunération car ces documents certes transmis avant 2017 ont servi après à instruire le dossier du fisc, à motiver le redressement et à argumenter devant la justice. Le ministre de l’économie et des finances a alors interjeté appel pour faire annuler ce jugement.

Une décision imparable mais…

La cour administrative d’appel estime que les dispositions entrées en vigueur le 1er janvier 2017 « ne sauraient être regardées comme imposant l’indemnisation des personnes ayant fourni de tels renseignements avant son entrée en vigueur ». Dès lors, cette aviseuse ne peut rien demander, pas même sous prétexte que « les lois s’appliquent aux situations juridiques en cours » et que « l’administration continue à exploiter après 2017 des renseignements obtenus auparavant ». Ce qui importe c’est, estime les magistrats de la cour administrative, la date de transmission des données à l’administration fiscale. Et la preuve aussi de cette date ! Car l’aviseuse soutenait avoir continué à envoyer des documents pour, affirmait-elle, « mettre à jour le système de fraude fiscale opéré par la banque UBS » mais, rétorquent les juges, « aucune pièce du dossier ne permet d’identifier que des renseignements aient été fournis après le 1er janvier 2017 ». « La seule circonstance que [l’aviseuse] soit restée en contact, après cette date, avec des membres de l’administration fiscale, et ait échangé avec eux des messages sur sa situation de lanceuse d’alerte » est considérée comme sans importance...
Cette décision du Conseil d’Etat est imparable en droit ; pour autant l’attitude de l’administration fiscale est cynique car avant 2017, officieusement, elle pouvait rétribuer les aviseurs et le faisait. La loi n’a fait que reconnaître une pratique obscure. Pourquoi avoir dès lors refusé cette « indemnité » à cette dame qui a pris le risque de révéler l’un des plus gros scandales de fraude fiscale et qui s’est fait licencier aussitôt par la banque… pour motif économique. Cette affaire envoie un signal de méfiance à tous ceux qui s’aviseraient de dénoncer des pratiques de fraude, d’autant que l’indemnité versée à l’aviseur n’est liée à aucun barème et qu’elle reste discrétionnaire et normalement plafonnée à 1 M€ (2). Une prise de risque bien mal récompensée…

(CAA de PARIS, 2ème chambre, 27 septembre 2023, 22PA04079)

(1) L'article 144 de la loi de finances pour 2022 a prévu la prolongation de cette expérimentation de deux ans pour la dénonciation de toute fraude fiscale supérieure à 100 000 €, soit jusqu’au 31 décembre 2023. Un amendement au projet de loi de finances pour 2024 prévoit de pérenniser définitivement cette possibilité de redressement fiscal fondé sur une délation.

(2) L’indemnité est « laissée à la discrétion de l’administration fiscale – plus précisément au directeur général des finances publiques sur proposition du directeur de la DNEF... Il n’existe donc pas de barème, ni de grille indicative… ll ressort d’une note du ministre à l’attention du directeur général des finances publiques, en date du 11 juin 2020, que le montant de l’indemnisation demeure de 1 million d’euros par affaire mais qu’il peut être porté « jusqu’à 15 % des droits recouvrés dans le cas d’affaires de grande importance » (Rapport d'information, commission des finances, Ass. Nat., députée Christine Pires Beaune)

JDE