Fiscalité
Assurance-vie : une désinvolture de l’assureur qui lui coûte cher
- Mardi 31 décembre 2024 - 13:00
- | Par Jean-Denis Errard
Il arrive qu’au décès de l’assuré les bénéficiaires désignés aient des difficultés à comprendre ce qu’ils doivent faire pour obtenir le capital décès et que l’assureur fasse traîner la procédure de règlement. Dans une affaire jugée par la cour d’appel de Paris*, la facture a été salée !
En juin 1998, un homme de 75 ans souscrit une assurance-vie auprès de sa banque intervenant comme courtier de la filiale d’assurances. Ce veuf décède en mars 2018 laissant quatre enfants, lesquels, désignés bénéficiaires, demandent aussitôt le règlement du capital décès puis, face au mutisme de l’assureur, adressent une mise en demeure. Toujours pas de réponse.
Les quatre héritiers ignoraient qu’il manquait le certificat d'acquittement de droits de succession obligatoire lorsque des versements ont été effectués sur l’assurance vie après les 70 ans. L’agent en charge des règlements s’est sans doute dit « c’est de leur faute s’ils ne reçoivent pas leur argent, ils n’avaient qu’à se renseigner ».
Les relances des bénéficiaires restent vaines.
Ce n'est qu’en février 2019 que l’assureur réagit et adresse aux bénéficiaires désignés l’imprimé CERFA 2705 pré-rempli aux fins de « déclaration de succession partielle à vérifier, compléter et transmettre au plus vite à la recette des impôts du domicile du défunt ».
Curieux mutisme
En juillet 2019, les quatre héritiers assignent la compagnie d’assurance-vie aux fins de la voir condamner à leur verser, sous astreinte, le montant des capitaux décès. En décembre 2019, les capitaux sont enfin débloqués !
Reste la question des intérêts de retard et de leur décompte selon les termes de l’article L. 132-23-1 du code des assurances entre le 6 juillet 2018, date limite pour l’assureur, et le 11 décembre 2019, date du versement effectif des capitaux. Presque un an et demi de retard !
Mais, rétorque en substance l’assureur, il manquait un document essentiel, le certificat fiscal d’acquittement des droits de succession (articles 292 A et 292 B de l'annexe II, CGI), donc le délai des intérêts moratoires ne pouvait pas commencer à courir.
La cour d’appel balaye cet argument car « en l'espèce, [l’assureur] n'ayant répondu aux divers courriels, courriers, relances et mises en demeure des bénéficiaires que le 6 février 2019, [celui-ci] n'a sollicité aucune pièce complémentaire dans les délais légaux. Les intérêts de retard ont donc commencé à courir à compter du 6 juillet 2018 ».
Par conséquent, la cour d’appel applique
- le double du taux légal entre le 6 juillet 2018 et le 6 septembre 2018 ;
- le triple du taux légal entre le 7 septembre 2018 et le 11 décembre 2019.
Une sanction double
Le tribunal comme la cour d’appel font droit aux demandes des bénéficiaires de voir condamner l’assureur à régler cumulativement la sanction financière prévue à l'article L. 132-23-1 du code des assurances et les intérêts prévus à l'article 1343-2 du code civil. Une sanction double ! Selon la cour d’appel « cette disposition d'ordre public est indépendante des fondements de la faute principale donnant lieu à une condamnation financière. Les seules conditions prévues par ce texte sont que la demande en ait été judiciairement formée et qu'il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière ». Ce qui signifie que les intérêts ayant plus d'un an d'ancienneté sont eux-mêmes productifs d'intérêts, donc à compter du 6 juillet 2019, soit un an après l'exigibilité des capitaux décès. Ce qu’on appelle l’anatocisme.
Une réticence sanctionnable
Les bénéficiaires demandaient aussi à la justice de condamner l’assureur à 5 000 € à chacun des bénéficiaires en réparation de leur préjudice moral subi. Le TJ en première instance a rejeté la requête. La cour d’appel l’estime par contre tout à fait justifiée. « La carence de [l’assureur] et son absence totale de toute réponse aux très nombreux courriels, courriers recommandés et mises en demeure qui lui ont été adressés par [les bénéficiaires de l’assurance-vie], pendant près d'une année, leur ont nécessairement causé un préjudice moral et psychologique important résultant exclusivement et directement de la faute commise par la compagnie ». Mais la cour d’appel ne leur octroie que 2000 € chacun.
>>Nos remarques. Le point de départ des intérêts moratoires suppose de pouvoir prouver que les documents demandés par l’assureur ont bien été reçus (Chambéry, 3 octobre 2023, n° 21/00905). En outre, selon l’article L132-23-1, le délai de 15 jours court après réception de l'avis de décès et de la prise de connaissance des coordonnées du bénéficiaire. Donc, lorsqu’il y a une incertitude sur l'identité du ou des bénéficiaires du capital décès, ou une contestation, le délai ne peut pas être décompté (Lyon, 13 décembre 2022, n° 20/00424 ; Paris, 14 septembre 2022, n° 20/03911).
*Cour d'appel de Paris, 27 mars 2024, RG n° 21/06403
JDE