Actualité des sociétés
« L’agrément PSAN est l’aboutissement d’un an et demi de travail »
- Mardi 31 décembre 2024 - 11:10
- | Par Jonathan Blondelet
GOin est l’un des seuls acteurs en France à avoir obtenu ce sésame, aux côtés de Société Général Forge, Deblock et Hexarq, une filiale de la BPCE. Gestion de Fortune a interrogé Tangi Le Calvez, président-cofondateur, pour savoir pourquoi si peu d’acteurs avaient sauté le pas alors que l’Europe tape à la porte avec un nouveau statut qui sera demain obligatoire.
Comment GOin a-t-il obtenu l’agrément ?
J’ai un background de banquier en fusion-acquisition et de trader de produits dérivés. Mais en quittant la banque en 2010 pour l’entrepreneuriat et en travaillant pour des entreprises qui font de la traçabilité, je découvre la technologie blockchain. Les cryptoactifs constituent un marché récent, immature, non régulé, qui va devoir se structurer dans les années qui viennent. C’est à partir de ce constat que j’ai cofondé GOin en 2018, une entreprise spécialisée dans l’investissement en crypto-actifs.
Nous voulions que les investisseurs institutionnels puissent intégrer cette classe d’actifs dans leur activité. Nous avons débuté notre activité de gestion d’actifs fin 2019 en cercle restreint dans un premier temps.
Nos outils ainsi que notre conformité ont ensuite été améliorés afin d’enregistrer GOin en tant que prestataire de services sur cryptoactifs (PSAN) auprès de l’AMF pour des activités de conservation et courtage fin 2022. Nous avons décidé dans la foulée de nous lancer pour l’agrément, que nous avons obtenu mi-décembre 2024. Ce sésame est l’aboutissement d’un an et demi de travail.
L’agrément porte sur cinq services : conservation et courtage - cryptos contre cryptos ou contre monnaie FIAT -, gestion de portefeuille pour compte de tiers et conseil.
Quels sont aujourd’hui les services proposés ?
Nos activités de conservation et de courtage ont été développées principalement pour les investisseurs institutionnels, sociétés de gestion ou émetteurs de produits structurés qui veulent faire des fonds ou des ETF. Ils doivent passer par un spécialiste du marché qui leur fournit le socle de l’investissement en cryptoactifs.
Nos activités de gestion pour compte de tiers et conseil s’adressent également aux investisseurs particuliers qui veulent diversifier leur patrimoine sur la classe d’actifs. Nous leur proposons un mandat de gestion avec une exposition diversifiée sur le marché suivant quatre profils de risque : conservateur (à qui nous déconseillons d’investir), équilibré, dynamique, offensif. L’allocation conseillée représente environ 5 % du patrimoine investissable, et le risque est ajusté grâce à la partie stablecoin du portefeuille.
Vos clients sont-ils majoritairement particuliers ou institutionnels ?
Aujourd’hui, principalement des particuliers avec des tickets minimum de 10 000 € car la réglementation ne s’est pas encore assez déployée pour les institutionnels en Europe. Nous essayons de convaincre les gestionnaires de patrimoine de devenir nos apporteurs d’affaires, ce qui était difficile au cours des années passées : comme l’univers n’était pas régulé, le choix du PSAN était difficile.
Nous avons beaucoup investi sur les fondamentaux de notre activité (conformité et infrastructure) et très peu en marketing, donc nous n’étions pas l’intermédiaire le plus connu. Il faut aujourd’hui rectifier le tir.
Avez-vous remarqué une évolution dans votre rapport aux CGP ?
Le discours des intermédiaires a beaucoup changé au cours des dernières années. Le succès phénoménal des ETF bitcoin émis aux USA par les plus gros gestionnaires d’actifs et souscrits par des investisseurs particuliers le prouve, comme les sondages publiés par l’Association pour le développement des actifs numériques (Adan) : les particuliers expriment leur volonté d’aller sur cette classe d’actifs mais restent frileux car celle-ci n’est pas proposé par leur intermédiaire bancaire traditionnel.
La défiance existe encore car les acteurs n’étaient jusqu’à présent pas suffisamment régulés. Les grosses institutions financières, elles, ont totalement changé leur fusil d’épaule.
L’agrément PSAN est-il une garantie suffisamment solide comparé à l’enregistrement ?
L’enregistrement consiste en une déclaration à l’AMF, qui vérifie que vous savez contrôler les flux entrants et sortants et que vous disposez d’une politique LCB-FT. Avec l’enregistrement renforcé s’ajoute un programme de cybersécurité et la résilience des infrastructures aux cyberattaques ou défaillances diverses, indispensable pour tous les services sur cryptoactifs et en particulier la conservation.
Lors de l’agrément, le régulateur examine, en plus de tous les éléments précédents, la bonne ségrégation des actifs des clients par rapport à ceux de la société. Lors de la faillite de la plateforme FTX, ses clients avaient découvert que ce n’était pas le cas. L’AMF vérifie également toutes les politiques et procédures opérationnelles mises en place pour l’ensemble des activités de la société : meilleure exécution pour le courtage, conservation, gestion des conflits d’intérêts, contrôle interne… En bref, un ensemble de procédures opérationnelles qui permet au régulateur de s’assurer que tous les risques sont maîtrisés par le PSAN.
Pourquoi avoir réalisé ces démarches lourdes alors qu’il vous faudra transitionner, au plus tard d’ici le 30 juin 2026, vers le statut de prestataire de services sur cryptoactifs (PSCA) exigé par le règlement MiCA ?
Le cadre réglementaire européen est calqué sur le cadre français. Notre dossier a été validé suivant les mêmes principes que ce qui nous sera demandé pour devenir PSCA et l’AMF ne devrait pas revenir sur les éléments déjà validés. La transition sera donc beaucoup plus rapide que pour les acteurs seulement enregistrés. Une procédure d’agrément complète prend plusieurs mois et les acteurs agréés devraient par ailleurs bénéficier du « fast-track », un processus simplifié pour devenir PSCA.
Quelles conséquences anticiper du passage au statut européen ?
J’anticipe une consolidation du marché : sur plus de 100 acteurs enregistrés en France, entre 10 et 20 % seulement passeront à l’étape supérieure. La marche sera probablement trop haute pour un certain nombre d’acteurs. Les acteurs agréés ont une bonne expérience de la finance traditionnelle et savent répondre aux attentes du régulateur, ce n’est pas le cas de profils plus « techno », qui disposent de moins de connaissances financières.
La consolidation se produira aussi dans les autres Etats-membres où la réglementation était jusqu’ici plus souple. En Estonie par exemple, il a existé jusqu’à 650 licences pour la fourniture de services sur cryptoactifs.
La sécurisation du cadre réglementaire va permettre d’enfin déployer les technologies blockchain sur des usages qui ont un impact pour la population globale et s’implémenter dans les sociétés. Le marché est encore émergent et garde un potentiel de croissance pour les 10 prochaines années malgré sa consolidation à venir.