Fiscalité
Donation déguisée en fausse vente : un lourd redressement fiscal
- Vendredi 15 novembre 2024 - 09:18
- | Par Jean-Denis Errard
Ce schéma de fraude est très courant et pourtant il revient régulièrement. Mais là, l’énorme sous-évaluation et le contexte rendaient l’opération très audacieuse. Le Comité des abus de droit fiscal a validé le lourd redressement infligé par l’administration.
Fin 2017 un notaire dresse un acte de vente entre la propriétaire d’une belle villa de 167 m2 avec piscine, dépendances, jardin de 4100 m2 dans le Var, près de Ramatuelle, et une SCI, pour la nue-propriété. Le prix convenu : 1,190 M€. Ce qui signifie, sur la base du barème d’évaluation de l’article 669 du CGI qu’en pleine propriété cette villa est évaluée à 1,7 M€.
Proche de la fameuse plage de Tahiti et de Saint-Tropez, une telle propriété à ce prix est évidemment introuvable…
On a là le schéma classique d’une SCI bidon dont le fils de cette vendeuse détient 99,6% des parts, son épouse et enfants possédant le reste. Cette société existant depuis 10 ans n’a aucune activité, n’a pas de revenus, n’a jamais souscrit de déclaration fiscale. En outre, la vendeuse, âgée de 80 ans, voulait sans doute préparer sa succession en minorant les droits de succession de son fils unique héritier. Et autant faire cette opération avant 81 ans puisqu’à cet âge la valeur de l’usufruit baisse de 30 à 20%.
Libéralité avec charge
En mars 2021 l’administration fiscale notifie une proposition de redressement pour donation déguisée. Selon elle, d’après quatre références de transactions antérieures comparables la valeur de la villa en pleine propriété est de 3,833 M€ soit 2,683 M€ en nue-propriété (70%). Soit 55,6% de minoration de la valeur déclarée dans l’acte notarié de vente!
Elle estime donc que « l’acte notarié ne constitue pas une cession à titre onéreux mais une libéralité avec charge » (à savoir le montant réglé de 1,190 M€). On a bien là réunies les conditions de la donation énoncées à l’article 894 du code civil (un dépouillement actuel et irrévocable).
Soit 2,683 M€ x 60% de droits de donation (pour cession à une société et non à un fils), soit 1,61 M€, des droits qui sont majorés de 80% pour dissimulation (art. 1729 b, CGI), soit une facture de 2,575 M€ au total outre les intérêts de retard, à régler solidairement par la mère et son fils.
Redressement validé
Le comité des abus de droit fiscal vient de valider le redressement. Il rappelle qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation qu’en présence d’une donation avec charge, la donation constitue une libéralité pour le tout lorsque la charge stipulée par le donateur a une valeur inférieure à celle du bien transmis (Cass. com. 30 mai 1989, 87-17.643 et n°30 de BOI-ENR-DMTG-20-10-10).
En l’occurrence le Comité a rejeté la contestation de l’estimation de la valeur de la villa en l’absence de références suffisantes des parties à l’acte (comment aurait-il pu en être autrement quand on connait la cote des villas là-bas !).
Le Comité a en outre estimé établie l’intention libérale de cette dame de 80 ans à l’égard de son fils héritier unique, détenteur de la quasi-totalité des parts de la SCI. Donc, l’abus de droit est flagrant et le redressement de droits avec majoration, est déclaré tout à fait justifié.
(affaire n°2024-12, séance du 26 sept. 2024 du comité de l’abus de droit fiscal)
JDE