23112024

Retour

Fiscalité

« Pacte Dutreil » : une révolution pour les holdings

La Cour de cassation a rendu une décision très attendue sur la condition d’activité éligible au régime fiscal de faveur de l’article 787 B du CGI concernant les sociétés holdings animatrices de leur groupe.

 

Par Emmanuel Laporte, avocat fiscaliste, cabinet Laporte (Paris)

La Cour de cassation rappelle que la holding animatrice a pour activité, outre la gestion d’un portefeuille de participations, la participation active à la conduite de la politique de son groupe et au contrôle de ses filiales exerçant une activité commerciale, industrielle, artisanale, agricole ou libérale, et, le cas échéant et à titre purement interne, la fourniture à ces filiales de services spécifiques, administratifs, juridiques, comptables, financiers ou immobiliers.

De plus, une holding animatrice ayant une activité civile non-prépondérante est désormais « assimilée » à une société opérationnelle ayant une activité mixte, éligible à l’exonération partielle des droits de mutation à titre gratuit à concurrence de 75% de la valeur des actions transmises.

Pour la première fois, la Cour estime que ces principes découlent de l’article 787 B du CGI ; ils ne sont donc pas subordonnés à une tolérance administrative d’interprétation stricte ni aux modifications que l’Administration pourrait y apporter.

Des critères quantitatifs en cas d’activité « mixte »

Selon la Cour, l’activité d’animation doit être principale « en considération d’un faisceau d’indices déterminés d’après la nature de l’activité et les conditions de son exercice », « notamment lorsque la valeur vénale, au jour du fait générateur de l’imposition, des titres de ces filiales (…) représente plus de la moitié de son actif total ».

Le Conseil d’Etat a déjà posé ces fondements dans ses décisions des 13-6-2018 et 23-1-2020. C’est donc une consécration judiciaire de la notion d’activité principale d’animation, de l’impératif visant à l’apprécier selon un faisceau d’indices et de la faculté de recourir aux valeurs vénales. Il y a lieu de saluer l’effort d’harmonisation des deux hautes juridictions.

Dès la première instance, des critères inadaptés ou interprétés sur le plan comptable ont été critiqués, tels que le chiffre d’affaires procuré pour au moins 50% du chiffre d’affaires total, ou le montant de l’actif brut immobilisé pour au moins 50% du montant total de l’actif brut, ne tenant pas compte de l’affectation des actifs immobilisés et circulants. Un critère fondé sur la valeur vénale des titres des filiales animées est un progrès majeur.

La Cour, qui n’ignorait pas l’usage du faisceau d’indices pour le caractère animateur, n’exclut pas le recours à d’autres indices de prépondérance. Mais dans le silence de l’arrêt, celui de la valeur vénale pourrait être regardé par l’Administration comme déterminant. Défaire le lien historique entre l’activité d’animation et ses critères exclusivement qualitatifs est une révolution de méthode, le recours à des données quantitatives semblant s’imposer en cas d’activité mixte.

Il est pourtant permis de redouter des effets éloignés de la volonté du législateur d’alors de donner les moyens de garantir la pérennité de l’appareil productif.

Plusieurs séries de preuves à rapporter

Auparavant, toutes autres conditions étant respectées, la Cour accordait le bénéfice d’un dispositif de faveur si l’animation effective et le contrôle étaient prouvés selon des critères tirés de cette définition, sans convoquer d’analyse de la valeur des actifs (Cass. com. 8-10-2013 n° 12-20.432 ; Cass. com. 10-12-2013 n° 12-23.720 ; Cass. com. 31-1-2018 n° 16-17.938 ; Cass. Com. 19-6-2019 n°17-20.558).

La définition de la holding animatrice reste d’ordre qualitatif. Mais dorénavant, les preuves devront être produites non seulement du caractère animateur de la holding (critères qualitatifs) mais aussi de la prépondérance de l’activité d’animation en cas d’activité mixte (critères quantitatifs). Les litiges pourraient s’étendre à la nature civile ou non d’un actif, notamment en cas de liquidités importantes ou d’autres actifs non directement exploités par la holding mais mis à la disposition des filiales (marques, brevets, etc). L’arrêt pourrait donc aggraver la complexité grevant déjà ce régime

La preuve pèse principalement sur le contribuable

La Cour de cassation et l’Administration estimaient déjà que la charge de la preuve du caractère animateur pèse essentiellement sur le contribuable malgré le recours à la technique du faisceau d’indices (Cass. com. 23-11-2010 n° 09-70.465 ; Cass. com. 21-6-2011 n° 10-19.770 ; Cass. com. 8-10-2013 n° 12-20.432 ; Rép. Frassa : Sén. 1-12-2016 n°17351). La prépondérance de l’activité d’animation devra sans doute être d’abord diligentée par des documents en possession du groupe. La Cour ne se prononçant pas sur ce point, le contribuable gagnera à se ménager aussi les preuves écrites du bien-fondé de ses évaluations.

Selon la Cour, cette vérification quantitative doit être faite au jour du fait générateur de l’imposition. Il sera prudent de prévoir des expertises de valeurs vénales à l’échelle d’un groupe et valables le jour même de la mutation.

Mais selon l’Administration, « la société doit conserver une activité éligible au bénéfice de l’exonération partielle pendant toute la durée de l’engagement collectif et de l’engagement individuel » (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, 19-5-2014, n°10). Faudra-t-il alors justifier de façon continue pendant six ans à la fois du respect du caractère animateur de la holding et notamment de valeurs vénales attestant d’une non-prépondérance des activités civiles ?

Des valeurs vénales volatiles

Bien que privilégié par la Cour, le recours aux valeurs vénales pourrait parfois se révéler impropre à refléter l’activité d’animation. La notion de valeur vénale correspond uniquement au prix que le jeu normal de l'offre et de la demande permettrait d’obtenir de la vente d'un bien à un instant donné. Des litiges pourraient donc survenir sur le choix des méthodes d’évaluation. De surcroît, la valeur vénale demeure volatile et tributaire d’influences extérieures détachées de l’activité d’animation.

Par exemple, certaines holdings ont des filiales animées agissant dans le domaine de la recherche et du développement, disposant d’actifs immatériels sans valeur de marché et générant des pertes récurrentes. La valeur vénale de leurs titres pourrait demeurer durablement inférieure à celle de l’actif total de la holding, dont les titres seraient exclus du dispositif alors même que la qualité d’animatrice serait démontrée.

Un dispositif largement prétorien

La doctrine administrative isole le « cas particulier » des holdings animatrices de la généralité des sociétés opérationnelles (incluant le cas des activités mixtes) (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, 19-5-2014, n°50). La nouvelle approche de la Cour peut donc surprendre en faisant table rase de cette conception selon laquelle une différence de nature existe entre une société opérationnelle classique ayant une activité mixte et une holding animatrice.

La théorie de la prépondérance ne figurant pas dans la partie du BOFiP relative aux holdings animatrices ni dans le texte de l’article 787 B du CGI, il ne tombait pas sous le sens de l’ériger au rang d’un principe issu de la loi.

Cette évolution marque l’emprise croissante du pouvoir prétorien sur un sujet délaissé par le législateur et laisse perdurer, à l’instar des changements déjà régulièrement survenus, le risque d’une instabilité juridique : sans intervention de la loi, les praticiens resteront confrontés au risque qu’une organisation ne soit plus valable quelques mois ou années après sa mise en œuvre. De prochains éclaircissements restent indispensables pour dissiper les incertitudes pesant sur le régime « Dutreil – transmission » pour les titres de sociétés holding animatrices.

(Cass. com. 14-10-2020 n°18-17.955 Financière de Rosario)