Valeur contre croissance : est-il temps d’investir dans la valeur ?
L’investissement « value » devrait connaître une renaissance car la tendance baissière des rendements obligataires qui dure depuis des décennies est enfin terminée. Lire les perspectives de Paul Jackson.
En bref
• Le principal facteur déterminant des rendements d’un portefeuille est le prix que l’investisseur paie pour acquérir des actifs, il les achète à bas prix pour les revendre plus chers.
• L’histoire nous enseigne que différents styles pourraient surperformer selon les conditions de marché. Où en sommes-nous actuellement ?
• La tendance baissière des rendements obligataires qui dure depuis plusieurs décennies est enfin terminée et l’investissement axé sur la valeur devrait connaître une renaissance.
Paul Jackson - Global Head of Asset Allocation Research
Qui peut affirmer que l’investissement axé sur la valeur est insensé ? Acheter des actifs bon marché et les revendre plus chers, voilà la raison d’être de l’investissement.
Mais le débat continue de faire rage entre les actions de valeur et les actions de croissance. Il existe de nombreuses façons d’identifier les actifs susceptibles de prendre de la valeur et elles n’impliquent pas nécessairement l’achat d’actifs les moins chers.
L’histoire nous enseigne que différents styles pourraient surperformer selon les conditions de marché. De manière générale, lorsque les rendements obligataires chutent, les actions de croissance se comportent bien. Á l’inverse, les actions de valeur surperforment lors des premiers stades des cycles économiques et de marché (lorsque les rendements obligataires augmentent).
Où en sommes-nous actuellement ? Je pense que la tendance baissière des rendements obligataires (et la surperformance des actions de croissance), qui dure depuis des décennies, touche à sa fin, ce qui pourrait favoriser les actions « value ». Mais laissez-moi dans un premier temps vous faire une rétrospective.
Une perspective historique de la valeur par rapport à la croissance
Au début de ma carrière au milieu des années 1980, il était facile de préférer les actifs qui se vendaient avec de faibles multiples de valorisation. Des tests rétrospectifs ont permis de constater que l’investissement axé sur la valeur avait généré des rendements supérieurs à ceux des autres méthodes telles que l’investissement dans les valeurs de croissance.
Cependant, la situation a commencé à se gâter pour les investisseurs « value » durant la seconde moitié des années 1990, lorsque la bulle Internet a hissé les valeurs technologiques et autres valeurs de croissance à des niveaux insoutenables. La bulle a, bien sûr, fini par éclater, mais les investisseurs « value » ont vu leur carrière ruinée puisqu’ils ont été démis de leurs fonctions avant même de pouvoir prouver qu’ils avaient raison.
Malheureusement, l’euphorie n’a pas duré et les titres « value » ont sous-performé les titres de croissance pendant une grande partie de la période qui suivit la crise financière mondiale de 2008. Une simple observation suggère que la baisse des rendements obligataires a joué un rôle important dans ce processus : en théorie, plus le rendement obligataire est faible, plus le facteur d’actualisation appliqué aux bénéfices/dividendes futurs est faible et plus la prime appliquée à la croissance est élevée (ces actions sont des instruments à long terme dont la part de valeur supérieure à la moyenne est située dans un avenir lointain). Comme les rendements obligataires ont suivi une tendance baissière une grande partie des trois dernières décennies, il n’est pas surprenant que l’investissement de croissance ait gagné en popularité au détriment de la valeur.
Que se passe-t-il aujourd’hui ?
On peut pardonner aux acteurs du secteur financier depuis le début du siècle de croire que les rendements obligataires baissent toujours et que les actions de croissance surperforment toujours. Nous avons désormais pu constater que les rendements obligataires pouvaient augmenter (et fortement) et l’année 2022 a montré que le facteur « value » pouvait surperformer la croissance (et d’autres facteurs). Je pense que la tendance baissière des rendements obligataires est désormais terminée et je m’attends à une variation cyclique proche de la normale, d’autant plus que les ventes d’actifs des banques centrales réduisent l’effet modérateur de l’assouplissement quantitatif (QE) sur les rendements. Par conséquent, je m’attends à des règles du jeu plus équitables entre la croissance et la valeur que celles que nous avons observées au cours des dernières décennies – certaines phases du cycle économique favoriseront la croissance, et d’autres favoriseront la valeur (notre analyse révèle que la valeur surpasse généralement d’autres facteurs au début d’un cycle économique et de marché).
Cependant, 2023 n’a pas suivi le scénario auquel on aurait pu s’attendre. Bien que notre indice factoriel de la valeur ait surperformé celui de la croissance en Europe, il a sous-performé la croissance aux États-Unis (et tous les autres facteurs, à l’exception de la faible volatilité). Malgré la hausse des rendements obligataires, la croissance a été le facteur le plus performant aux États-Unis, même si en Europe, elle a sous-performé tous les facteurs, à l’exception du facteur taille. Je pense que la solide performance de la croissance aux États-Unis s’explique par l’émergence d’outils d’intelligence artificielle (IA), qui ont stimulé les valeurs technologiques aux États-Unis.
Je doute que l’IA puisse continuer à fausser les performances du marché comme elle l’a fait tout au long de l’année 2023, d’autant plus qu’il est désormais courant d’entendre que les investisseurs cherchent des moyens d’atténuer les risques de concentration qui accompagnent les indices pondérés par la capitalisation boursière tels que le S&P 500. Á ce sujet, mon analyse des rendements boursiers américains depuis 1881 suggère que les rendements à long terme ont tendance à être les plus élevés lorsque les multiples de valorisation sont faibles au départ et à être les plus faibles lorsque ces multiples sont plus élevés, comme c’est le cas actuellement (en utilisant l’indice Shiller PE comme indicateur de valorisation). Il s’agit pour moi d’une preuve selon laquelle les achats d’actifs bon marché génèrent de meilleurs rendements à long terme.
La valeur est de retour dans les affaires
Les marchés actions ne se sont pas encore, à mon avis, complètement adaptés à la hausse des rendements obligataires compte tenu de la très bonne résistance des valeurs de croissance. Outre le phénomène de l’IA, cela peut également refléter le fait que de nombreux investisseurs n’ont travaillé que dans un environnement où la croissance surperformait et qu’il leur faudra peut-être un certain temps pour accepter que d’autres résultats soient possibles. Ce pourrait être décevant sur le front de la croissance pendant plusieurs années, car des taux de rendement minimum plus élevés produiraient leurs effets. Dans l’intervalle, la valeur pourrait afficher de meilleurs résultats que la croissance, meilleurs que ceux auxquels on pourrait s’attendre autrement.
Cependant, je ne pense pas que ce sera un processus linéaire. Je m’attends à ce que la valeur soit la plus forte au début des cycles économiques et de marché et qu’elle surperforme la croissance, en particulier lorsque les rendements obligataires augmentent (ce qui correspond souvent à ces phases de reprise). La mauvaise nouvelle est que je m’attends à ce que les grandes banques centrales occidentales commencent à assouplir leur politique monétaire courant 2024, ce qui pourrait annoncer une baisse des rendements obligataires à long terme. Cette politique pourrait stimuler les actions de croissance par rapport aux actions de valeur, mais de manière temporaire à mon avis. En outre, comme indiqué plus-haut, je pense que la valeur est actuellement meilleure que la croissance, en particulier aux États-Unis, et je ne serais donc pas surpris de voir la valeur surperformer à moyen terme.
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