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[Tribune] Rémunération des dirigeants et critères ESG : une boîte à outils encore lacunaire ?
- Vendredi 22 novembre 2024 - 10:10
- | Par Candice Boclé, directrice de l’investissement responsable chez Mandarine Gestion
Que ce soit pour améliorer la « marque employeur » ou pour aligner financier et extra-financier, l’intégration de critères RSE dans les dispositifs de rémunération constitue une véritable tendance dont l’accélération met en lumière de fortes disparités entre entreprises et secteurs.
Depuis quelques années, les sociétés cotées ont augmenté leurs efforts en matière de transparence, y compris concernant les rémunérations. En termes d’intégration de critères RSE, le sujet est passé de : « doit-on oui ou non l’envisager ? » à « quelle part doit-on y accorder ? ». 100% des sociétés du CAC 40 intègrent désormais des indicateurs RSE dans la rémunération des dirigeants.
Sans doute une tendance de fond, ces éléments extra- financiers varient désormais entre 10 et 30% de la prime annuelle pour les sociétés composant l’indice boursier français1 (24% en moyenne). Des acteurs comme Veolia (pro rata de 50% pour la rémunération variable de long terme) ou L’Oréal (neutralité carbone comme condition préalable du versement) ont fait preuve d’exemplarité, notamment sur la nature des critères utilisés. Cependant, peu de sociétés renforcent actuellement cette quote- part.
L’accent est mis sur la rigueur dans la formulation et le choix de critères correspondant aux problématiques de cœur de l’entreprise. En attendant, les différents cabinets de conseil spécialisés sensibilisent et forment les dirigeants pour assurer une compréhension commune des enjeux RSE matériels à leur société.
L’éternelle tragédie des horizons
Pour concilier performance extra-financière et performance globale tout en infusant une culture RSE, force est de constater que faire l’impasse sur l’aspect « rémunération », qu’elle soit de court ou de long terme, risque de limiter la portée de la démarche.
Aussi cynique que cela puisse paraître, toucher les cadres dirigeants au portefeuille en indexant leur rémunération variable sur des critères extra-financiers est l’une des conditions de l’engagement des entreprises pour l’environnement et la société. Par ailleurs, face à l’incompréhension que certains packages de plusieurs millions d’euros suscitent, les réformes liées au renforcement des critères ESG permettent parfois un meilleur alignement des intérêts entre dirigeants et salariés.
Cependant, la nature des objectifs et l’horizon de temps pour évaluer leur réalisation restent des sujets de contention au sein des comités de rémunération, reflétant ainsi le manque de maturité du sujet. La CSRD (directive européenne sur le reporting de durabilité) a été pensée pour homogénéiser les pratiques et gagner en transparence. Principal problème : les impacts environnementaux et sociétaux pluriels de l’entreprise se manifestent généralement sur des horizons de temps longs. Face au manque de prévisibilité de certains objectifs de long terme, il est plus facile de prédire la possibilité d’atteindre des jalons annuels.
Du Say on Pay au Say on ESG : vers un alignement stratégique ?
Pour rappel, le Code Afep-Medef recommande de fixer la rémunération des dirigeants en intégrant « un ou plusieurs » critères liés à la RSE, dont au moins un en lien avec des objectifs climatiques de la société, les critères quantifiables étant à privilégier. Bien qu’il n’existe pas d’approche unique, certains indicateurs sont fréquemment évoqués car mesurables : les émissions de gaz à effet de serre scopes 1 et 2, l’égalité salariale femme-homme, la diversité et l’inclusion, le suivi d’une formation interne sur le développement durable, etc.
La collecte et l’analyse des données ne permet parfois pas d’éviter un certain manque d’objectivité. Par exemple, en 2022, le PDG de TotalEnergies a perçu la totalité de son variable grâce à la baisse des émissions carbone (hors scope 3), à la conduite d’une stratégie RSE, ainsi que via certains indicateurs purement qualitatifs.
Selon la société de conseil Proxinvest, interrogée en octobre 2024, nous observons une évolution croissante des critères de rémunération ESG dont le nombre a été multiplié par 3 en 4 ans pour passer à plus de 200 critères ESG différents au sein du CAC 40. Les indicateurs devant être « quantifiables, auditables, pertinents », il ne devrait plus y avoir de place pour le greenwashing au risque de perdre en crédibilité.
Les indicateurs externes à l’entreprise, comme un objectif relatif aux notations ESG (type MSCI rating), ne font pas l’unanimité à cet égard auprès des actionnaires qui se prononcent sur ces rémunérations chaque année. Ils tendent à être remplacés par des indicateurs sur lesquels les dirigeants et les collaborateurs ont des marges de manœuvre.
Un élargissement nécessaire
Si le cadre normatif se concentre pour le moment sur les dirigeants mandataires sociaux, embarquer les collaborateurs, de manière ciblée et pertinente, peut contribuer à infuser une culture RSE au sein de l’entreprise. Que ce soit en intégrant des objectifs liés à la RSE à leur rémunération annuelle ou sur la base du volontariat, le passage de la stratégie à l’action n’est pas toujours évident.
En effet, le manque d’adhésion et de relais locaux freine parfois l’ancrage de ces initiatives au quotidien, créant une déconnexion entre la stratégie, sa compréhension par les collaborateurs et les actions réalisées sur le terrain. La mise en place d’un réseau d’ambassadeurs RSE dynamique permet souvent de fédérer les équipes.
Par ailleurs, si les grandes sociétés ont pris le lead, pour les ETI et PME, avancer progressivement semble être nécessaire. Concrètement, attribuer des budgets carbone aux différentes équipes en fonction de leurs métiers et projets ou proposer aux collaborateurs un catalogue d’objectifs collectifs découlant des piliers stratégiques constituent des exemples de bonnes pratiques.
Enfin, intégrer des critères RSE dans les accords d’intéressement et de participation peut envoyer un signal positif aux employés d’une société ainsi qu’au marché. Depuis quelques années, un mouvement global semble s’opérer, y compris au sein du capital investissement, via des dispositifs comme le management package2 ou le carried interest3.
Chez Mandarine Gestion, notre système propriétaire de notation ESG des sociétés valorise l’inclusion des critères de performance RSE que nous percevons comme un signal positif envoyé aux investisseurs. Par ailleurs, cette question revient régulièrement dans les discussions que nous avons avec les entreprises de toutes tailles de capitalisation, afin de les encourager à établir des lignes directrices sur ce sujet.
En conclusion, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour que l’extra-financier soit considéré au même niveau que le financier dans la rémunération des dirigeants.
En effet, la pertinence de certains critères ESG peut être remise en question au point de se demander si les critères extra-financiers ne serviraient pas de rattrapage en cas de mauvaise performance financière dans l’attribution des rémunérations des dirigeants. Tout comme le marché des Sustainability-Linked Bonds4 demande une analyse poussée des investisseurs sur la qualité des critères sélectionnés, les Sustainability-linked compensations5 n’ont pas fini de nécessiter une dose de méfiance.