Fiscalité
Affaire Aristophil : une décision importante sur la prescription des recours
- Lundi 25 novembre 2024 - 09:18
- | Par Jean-Denis Errard
Le procès de cette arnaque devrait enfin commencer mais en septembre 2015. En attendant des investisseurs se retournent contre les commercialisateurs. Ceux-ci et leurs assureurs invoquent le délai de prescription de 5 ans pour agir en justice. Mais à partir de quand se décompte ce délai ?
Trois épargnants ont souscrit aux offres Aristophil qui, comme on le sait, consistait à miser sur la valorisation de collections de lettres écrites par des personnalités historiques, d’ouvrages précieux, ou de manuscrits d'auteurs célèbres.
Cela à plusieurs reprises entre juin 2010 et avril 2014 pour un total de 380 500 €. L’idée semblait alléchante puisque cette société promettait aux investisseurs un rendement annuel de 8% et aux commercialisateurs une commission de 10%.
Au printemps 2014 une enquête préliminaire est lancée après une alerte de de la DGCCRF, ce qui débouche sur une information judiciaire en mars 2015. En août 2015, la société Aristophil, après une mise en redressement, est placée en liquidation judiciaire.
Fin décembre 2019, ces trois épargnants mettent en demeure le conseil en investissement financier qui leur a proposé les offres d’Aristophil de « leur formuler une proposition indemnitaire », puis devant son refus l’assigne en février 2020 pour manquement au devoir de conseil et d’information. Un manquement qui est, selon eux, la cause du préjudice.
Trop tard ?
Trop tard, rétorquent le tribunal puis la cour d’appel (Grenoble 13 décembre 2022, RG n° 22/01943) puisqu’une telle action en justice se prescrit par 5 ans par application de l'article 2224 du code civil, avec pour point de départ la date des contrats d'investissement signés avec Aristophil.
L’avocat de ces épargnants porte l’affaire en cassation car il est de jurisprudence constante que la prescription part « à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ».
Donc à compter du moment où la perte de chance de ne pas souscrire à un investissement financier défavorable est révélée au client.
Ce qui signifie concrètement : à partir des « opérations de revente des parts indivises acquises, intervenues au cours des sessions de ventes aux enchères publiques de décembre 2017, juin 2018 et novembre 2018, lesquelles avaient révélé une surévaluation manifeste des collections ».
Une censure qui sauve ces épargnants
C’est exact, affirme la Cour de cassation, « le délai de prescription de l'action en indemnisation d'un tel dommage ne peut commencer à courir avant la date à laquelle l'investissement a été perdu ». Ce n’est pas la date de souscription aux offres d’Aristophil qui compte (à ce moment-là les épargnants n’avaient aucun motif pour assigner) ; ce n’est pas non plus la date de mise en liquidation judiciaire de cette société qui importe (le préjudice n’était alors que potentiel). Non, c’est au moment où les épargnants ont découvert leur préjudice certain et chiffré lors des ventes aux enchères de leurs manuscrits acquis à des prix qui se sont avérés surévalués.
Pour rappel, des rumeurs ont circulé rapidement (refreinées par les assignations en diffamation de la société), l’expert Frédéric Castaing avait dénoncé l’invraisemblance de ce placement, le journal Que Choisir du 31 mars 2011 avait relayé cette mise en garde, l’AMF en décembre 2012 -sans désigner Aristophil- a prévenu du risque pris sur ce genre d’investissement, un jugement du tribunal de Paris du 25 mars 2013, RG 13/00538, avait débouté Aristophil d’une action en diffamation contre ce journal qui alertait sur « le risque de voir la bulle exploser » (1). Pour autant des conseillers ont continué de proposer cette offre.
Au final les ventes aux enchères des 130 000 manuscrits saisis ont rapporté seulement 5 % de la valeur qu'Aristophil leur attribuait (2).
Ceci étant dit, sur le fond, que pourra-t-on reprocher au conseiller qui a proposé ce placement Aristophil ? Pouvait-il imaginer la surévaluation des manuscrits ? Pouvait-il juger irréaliste un tel rendement ? Cela reste à juger. Quant à cette affaire d’escroquerie, appelé le « procès à 1 milliard d’euros », elle devrait, enfin, être jugée en correctionnelle en septembre 2025, après dix ans d’instruction.
(Cour de cassation ch. com. 20 novembre 2024, n° 23-12.137)
(1) Déontofi, 10 mars 2015, Gilles Pouzin
(2) Les Echos, 19/09/2024, Erwan Seznec
JDE