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Elections législatives et imposition des revenus du patrimoine : il est urgent de ne rien faire !
- Vendredi 28 juin 2024 - 08:01
- | Par Par Alexandre Henry, avocat associé et Bertrand Darènes, avocat, Couderc Dinh & Associés
Les angoisses des contribuables aisés montent à mesure que le 1er tour approche. Agir dans la précipitation en anticipant un potentiel retour au barème progressif risque pourtant de les desservir. Explications.
Dès son arrivée au pouvoir, l’actuelle majorité a modifié en profondeur la fiscalité des revenus du patrimoine: depuis le 1er janvier 2018, les revenus passifs (dividendes, intérêts et plus-values de cession de titres) sont désormais soumis à un taux forfaitaire d’impôt sur le revenu de 12,8 % (remplaçant une imposition au barème progressif de l’impôt sur le revenu dont le taux marginal atteint 45 %) auquel s’ajoute un assujettissement aux prélèvements sociaux de 17,2 %, soit une imposition totale de 30 % (couramment dénommée « flat tax »).
Taxation des revenus du patrimoine
Dans le cadre de la campagne pour les élections législatives anticipées, la question de la taxation des revenus du patrimoine est centrale. Ainsi le Nouveau Front Populaire propose l’instauration d’un barème progressif à 14 tranches avec des taux pouvant aller jusqu’à 85 % pour les plus hauts revenus ainsi que la suppression de la flat tax pour les revenus du patrimoine (lesquels seraient réintégrés au barème progressif de l’impôt sur le revenu) ; le Rassemblement National a également évoqué la suppression de la flat tax avec une imposition des revenus passifs au barème progressif de l’impôt sur le revenu ; la majorité présidentielle enfin, si elle n’entend pas revenir sur la flat tax, a annoncé vouloir amender la taxation de certaines plus-values, notamment sur les rachats de titres, en instaurant un taux de taxation progressif en fonction de la durée de détention de ces derniers.
Ainsi, quelle que soit la majorité qui émergera des prochaines élections, la taxation des revenus du patrimoine pourrait être modifiée en profondeur, notamment avec des mesures plus défavorables pour les hauts revenus, et ce dès la publication d’une loi de finances rectificative pour 2024 qui pourrait être votée dès l’été. Cette dernière pourrait être couplée avec des mesures prévues dans la loi de finances pour 2025 qui sera adoptée au mois de décembre 2024.
Avance d’impôt
Face à cette incertitude, l’inquiétude grandit chez les contribuables qui sont tentés de procéder à des distributions massives de dividendes ou à des cessions de titres dans l’espoir que la réalisation d’une telle opération avant la modification du régime fiscal des revenus du patrimoine permette de conserver le bénéfice de la flat tax. Cette tentation est d’autant plus grande que la taxation actuelle des dividendes laisse à penser que le paiement de l’impôt intervient dès la distribution, et non pas lors de la déclaration annuelle des revenus.
En effet, lors de la distribution de dividendes, la société versante précompte sur le dividende versé la flat tax de 30 %, qu’elle verse directement au Trésor dans le mois suivant la distribution. Lors de sa déclaration annuelle de revenu, le contribuable déclare le montant de dividende perçu ainsi que le précompte payé : ce dernier étant égal à l’impôt dû, aucun impôt supplémentaire n’est donc à verser par le contribuable.
Or, il est primordial de rappeler que ce versement ne constitue qu’une avance d’impôt et n’est, en aucun cas, libératoire du paiement de ce dernier. Concrètement, un contribuable qui recevrait des dividendes au mois de juillet 2024 verrait une retenue de 30 % opérée lors du versement dudit dividende. Toutefois, s’il était décidé par la nouvelle majorité que ce dividende devrait être imposé au barème progressif de l’impôt sur le revenu (taux marginal actuel de 45%) auquel s’ajouteraient les prélèvements sociaux de 17,2%, alors le contribuable pourrait être contraint de verser un reliquat d’impôt correspondant à la différence entre l’imposition finale et le précompte effectué, le paiement préalable du précompte ne le libérant pas de ses obligations fiscales. Une telle situation est la conséquence de ce que l’on appelle la « petite rétroactivité » de la loi fiscale. Concrètement, le fait générateur de l’impôt sur le revenu est fixé au 31 décembre de l’année. Aussi, l’imposition est assise sur les règles fiscales applicables le 31 décembre, et non pas celles applicables au jour de la perception du revenu.
Dommage collatéral
Il est donc urgent d’attendre plutôt que de réaliser dans la précipitation des opérations qui non seulement ne seront pas immunisées contre une éventuelle suppression de la « flat tax », mais pourraient avoir des effets collatéraux négatifs sur le plan fiscal. En effet, et même si aucun des partis ne s’est exprimé sur cette question, il existe actuellement une contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CEHR) au taux marginal de 4 % qui est assise sur le revenu fiscal de référence annuel du contribuable (i.e. le montant total des revenus annuels perçus) et dont le taux pourrait être aussi revu à la hausse dans le cadre d’une loi de finance rectificative pour 2024.
Dans ce cas de figure, les contribuables ayant procédé à des distributions massives de dividendes en 2024, en plus de se voir opposer un régime fiscal plus défavorable que la flat tax actuelle, pourraient voir le montant de leur CEHR exploser en raison d’un revenu fiscal de référence inutilement majoré du montant des distributions. Au-delà d’avoir vidé les caisses de leurs entreprises pour rien, les contribuables, en outre, verraient les sommes ainsi réintégrées à leur patrimoine privé potentiellement assujetties à l’ISF en cas de retour de ce dernier, autre élément fiscal de la campagne des législatives. Planification fiscale intelligente et précipitation ne font pas bon ménage.