27122024

Retour

Marché

« La rémunération par commissionnement est toujours dans la balance »


Bertrand de Surmont removebg previewLa stratégie pour les investisseurs particuliers qui vient d’être votée par la commission économique du Parlement européen est en faveur des intermédiaires, mais le chemin jusqu’au texte final est encore long. Revue de détail avec Bertrand de Surmont, président de l’Ancia.

 

 

 

  

La commission des affaires économiques (Econ) du Parlement européen a adopté le 20 mars sa version de la stratégie pour les investisseurs particuliers, ou retail investment strategy (RIS). Le texte a été largement édulcoré depuis la proposition initiale de la Commission européenne.

Il ne mentionne plus d’interdiction des commissions pour les intermédiaires - même pour les ventes sans conseil - excepté pour les courtiers en assurance qui se présentent comme indépendants. La « value for money » s’est aussi éloignée de sa conception initiale d’outil comparatif pour l’investisseur au profit d’un benchmark de marché destiné aux professionnels.

Les distributeurs n’ont pas gagné la partie pour autant : une fois le texte voté en assemblée plénière au Parlement européen d’ici fin avril, ce sera au tour du Conseil européen de proposer sa version de la RIS, avant la phase de trilogue.

Celle-ci pourrait bien rebattre les cartes, ainsi que l’explique Bertrand de Surmont, président de l’Ancia, qui rassemble Planète CSCA, Agea et Anacofi assurances.

Gestion de Fortune : Quelle est votre position concernant le vote de l’Econ sur la RIS ?

Bertrand de Surmont : Beaucoup de choses nous interpellent encore dans ce texte, mais il est moins défavorable à notre profession que ne l’était la version initiale de la Commission européenne qui prévoyait une interdiction partielle du commissionnement. Nous prenons acte du maintien dans le texte du principe de transparence des coûts et frais, y compris des coûts de distribution, et de l’introduction d’un module de durabilité dans la formation continue des distributeurs.

Nous restons en revanche vigilants sur la phase de trilogue à venir. Le Conseil de l’Union européenne n’a pas encore arrêté sa position. La Belgique, qui en assure la présidence, pousse pour un encadrement drastique des commissions. Elle propose d’ajouter sept critères cumulatifs pour autoriser leur perception, qui s’ajoutent aux quatre critères du texte de la Commission européenne, ce qui reviendrait à une interdiction de fait.

En effet, en plus du « best interest test » qui était dans le texte initial est proposé un « inducement test » qui prévoit l’interdiction des rémunérations sur des critères commerciaux quantitatifs, des rémunérations payées à l’avance, l’obligation de respecter le meilleur intérêt du client, la possibilité de récupérer les frais en valeur nominale si les intérêts du clients sont lésés, l’interdiction de recourir à des seuils variables et sur volumes, l’identification claire de la rémunération par rapport aux autres frais ainsi qu’une une méthode de calcul claire et compréhensible.

Le texte initial de la Commission était beaucoup trop pro-consumériste et risquait paradoxalement de déboucher sur une augmentation du coût des produits pour les consommateurs et à une baisse du conseil. La discussion au Parlement européen a permis de rééquilibrer le texte, mais la rémunération par commissionnement demeure dans la balance et notre vigilance reste maximale.
La prochaine composition du parlement européen après les élections du mois de juin pourrait également rebattre les cartes.

GDF : Pouvez-vous revenir sur la mesure de l’Econ concernant l’interdiction des commissions pour les conseillers en assurance indépendants ?

B.S. : Nous ne savons pas si la notion de conseil indépendant, interdisant la perception de commission, est lié au statut du professionnel ou au type de conseil délivré. Aujourd’hui, les pouvoirs publics nous assurent que cette mesure n’est pas liée au statut et qu’il s’agit donc d’un libre choix pour les conseillers qui voudraient s’afficher comme indépendants, sur le modèle du CGPI. Mais la formulation reste en l’état assez floue même si la copie du Parlement européen améliore la lisibilité de la disposition.

GDF : La value for money a été considérablement amoindrie lors du passage en commission, supprimant notamment le benchmark à destination des investisseurs…

B.S. : Est-ce que le consommateur aurait été davantage éclairé en consultant un benchmark des produits ? Dans le texte originel, celui-ci descendait jusqu’au niveau des distributeurs. Le texte de l’Econ a remis du raisonnable et de l’opérationnel.

En revanche, le benchmark de marché, toujours prévu, serait pertinent pour les acteurs. Il y aurait davantage de transparence et de justification sur la rémunération de l’intermédiaire. Nous sommes d’ailleurs l’un des seuls pays où le conseil doit obligatoirement être formalisé pour les intermédiaires en assurance. Les modifications issues de la RIS seront donc plus faciles à absorber en France.

GDF : Êtes-vous optimistes pour la suite du parcours de la RIS ?

B.S. : Il ne faut pas crier victoire trop vite car le chemin est encore long. Un certain nombre de mesures de niveau 2 sont prévues et seront préparées par l’Eiopa. C’est alors que nous verrons précisément ce qui change ou non, alors même que ces mesures ne sont pas soumises à un contrôle démocratique très poussé.

De plus, la directive devra être transposée en droit national. Nous espérons donc que les mesures les plus opérationnelles pour les intermédiaires relèveront de la transposition, afin de tenir compte des spécificités des situations locales, au risque de créer des failles dans les marchés domestiques.

Avec la RIS, nous avons perdu de vue l’objectif de départ qui est l’Union des marchés de capitaux (UMC) en Europe. On règle des histoires de conflits d’intérêt, mais avons-nous entendu parler d’unification du droit successoral, de la fiscalité ?

Fluidifier le marché, permettre à certains épargnants d’avoir un meilleur accès aux produits d’investissement, tout cela va dans le bon sens. Si la RIS débouche sur des mesures qui restreignent la liberté entrepreneuriale, le résultat sera loin de la philosophie initiale de l’UMC, d’inspiration plutôt libérale.