23112024

Retour

Assurance vie

Premières réactions d’un CGP sur le nouveau PER

Le PER est présenté comme un produit fabuleux qui va révolutionner l'épargne retraite. Pour l'industrie financière, les enjeux économiques sont de taille et le gouvernement en attend beaucoup, expliquant sans doute cette posture. Pourtant, certains aspects peuvent être piégeurs.

Par Pascal Jouve et Corinne Sauze, CGP, cabinet Corellon à Toulon

Le PER est un produit complexe, mais il peut s'apprivoiser. Ce qui est critiquable c'est la façon dont il est vulgarisé, notamment avec les approches commerciales qui embellissent ce dispositif. Bien sûr c'est une solution technique intéressante sur bien des aspects, mais attention à ne pas occulter ses défauts ou points de vigilance sur lesquels, en tant que conseil, nous devons porter notre attention. Loin de nous l’idée de critiquer pour critiquer, mais la nouveauté et le marketing ne doivent pas hypnotiser le discernement des acteurs, tout du moins professionnels.

Des plateformes techniques qui ne sont pas prêtes

De l'aveu de la majorité des acteurs assureurs, leur informatique n'est pas encore opérationnelle pour le PER. Compte tenu de la complexité du dispositif, ce n’est pas rassurant vis-à-vis de nos clients ! Certains d'ailleurs, bien conscients de cette problématique de back-office, ne proposeront qu'un PER avec un seul compartiment au lieu des trois. Plusieurs types de PER vont donc coexister. Cela ne les empêche pas d'être dans la course de celui qui sortira son produit le premier, de peur de se faire chiper des clients par un assureur plus rapide. Cette logique de vitesse risque tout de même de se faire au détriment de la qualité finale des solutions proposées.

Pour notre part, en tant qu'indépendant dans le choix des produits à proposer, nous nous laissons jusqu'à l’automne 2020 pour sélectionner le produit qui présentera le plus de valeur ajoutée pour l'épargnant. Par expérience, ce sont rarement les premiers sortis ! Il faut attendre que le marché s'étoffe avant d'analyser un maximum de contrats et de faire les bons choix.

Une centralisation qui peut être dangereuse 

Cela n'a choqué personne, mais l'objectif du PER est de regrouper au sein d'un même plan les Perp, Madelin, Préfon, Corem, CRH, PEE, Perco et Article 83 actuels. Idée directrice : avoir un seul plan d’épargne centralisé pour la retraite. Cela nous fait penser au « choc de simplification » du gouvernement ! Or nous savons qu'il est sage de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, donc auprès d’un même assureur ou d’une même société de gestion. Il est possible de détenir plusieurs PER dans plusieurs établissements ; c'est certainement la voie que nous prendrons à condition que les différents acteurs ne soient pas des filiales les uns des autres !

Un tunnel percé qui peut plomber la performance

Grâce à un déblocage anticipé, il sera possible de récupérer son épargne acquise sur les compartiments individuel et collectif pour l'acquisition de sa résidence principale. C’est une option séduisante. Cela permettra d'augmenter l'apport pour le financement de son logement. Ce qui pourra être intéressant notamment le jour où les taux d'emprunt remonteront… Mais il en résulte certains effets indésirables. Cet aspect couteau suisse du PER laisse songeur ; ce n'est ni un vrai bon couteau, ni une bonne pince, ni un bon cure-dent…

En clair, la suppression de l’effet tunnel de l'épargne retraite rend très compliquée l'allocation d'actif, donc le rendement final du placement. Sur 20 ou 30 ans d'épargne, la plus-value peut être facilement du simple au triple en acceptant un peu de volatilité ! Imaginez un client dont le projet est de changer de résidence principale dans le futur et qui, pour diverses raisons, ne l'a pas fait au bout de 10, 15 ou 20 ans.

Cette exigence de disponibilité, imposant une gestion très prudente, lui aura sans doute coûté au moins la moitié de ses intérêts, surtout avec le niveau des taux actuels. Par ailleurs, une fois l'épargne récupérée pour son nouveau lieu de vie, il devra reconstituer du mieux possible la tirelire retraite cassée pour l'occasion !

Une fiscalité qui comporte des pièges

L'intérêt d'une épargne retraite est de se constituer au fil de l'eau des revenus futurs. Cela grâce à la durée de cotisation, la rentabilité et l'incitation fiscale pour laquelle une déduction des primes sur les revenus déclarés à l'administration fiscale est possible. Tout comme le Perp et le Madelin. Mais quid de la fiscalité lors d'un déblocage anticipé pour l'achat de la résidence principale ? C'est assez logique : cette épargne a permis une économie d'impôt, car destinée à la retraite, donc si l'assuré la récupère avant il devra rembourser cet avantage fiscal !

L'année du déblocage anticipé, il devra réintégrer l'ensemble des versements correspondant à son rachat. Ce qui devrait être considéré comme un revenu exceptionnel. En l'état actuel, les intérêts seront fiscalisés, mais le capital également et en intégralité ! On imagine l’impact fiscal au moment de payer son impôt un an après l'achat de son nouveau logement ! Le marketing occulte totalement ces éléments, d'où l'importance de prendre du recul.

Des transformations de PEI et Perco I en PER qui réservent de mauvaises surprises

Devant la course des acteurs consistant à être les premiers à proposer une nouveauté, certains confondent vitesse et précipitation, avec des effets de bord particulièrement vicieux comme une double taxation pour le contribuable. Des centaines de milliers de souscripteurs de Perco ou Perco I effectuent depuis des années des versements mensuels automatiques. C'est une très bonne idée, puisqu’ils peuvent ainsi lisser le prix d'acquisition des parts de fonds. Ces épargnants peuvent avoir également par ailleurs des Perp, Madelin, Article 83… optimisés, c’est-à-dire au ras de l'enveloppe fiscale pour défiscaliser au maximum.

Ce qui est plutôt une bonne chose à la fois pour leur fiscalité, mais surtout pour leur retraite. La loi Pacte permet à l'épargnant dans le compartiment collectif du PER de pouvoir choisir si ses cotisations volontaires doivent être déductibles ou non. Celui qui a optimisé ses enveloppes fiscales Perp et/ou Madelin saura qu'il ne peut pas tout déduire sans risque de dépassement du plafond fiscal global.

Jusque-là c'est simple. Mais c'était sans compter sur la précipitation de certains acteurs d'épargne salariale qui imposent la déduction automatique des versements volontaires des "anciens" Perco (il faut savoir que le texte prévoit à défaut cette option). Pourtant il n'interdit pas de demander au préalable le choix de l'épargnant et de lui laisser finir son année fiscale en cours.

Conséquence : les bénéficiaires de PercoI transformés en PER et ayant optimisé leur Perp ou Madelin doivent rapidement se rapprocher du fabricant du produit PER pour savoir si leurs futurs versements volontaires sur Perco I est enregistré en déductibles ou non déductibles. Si leurs versements sont enregistrés en déductibles, ils subiront une double imposition ! Sur leurs versements volontaires déjà frappés par l'impôt sur le revenu et non déductibles pour cause de plafond fiscal global et lors de la récupération où le capital sera imposable en plus des intérêts, car enregistré comme « déductibles » dans le PER.

On a l'impression que le caractère déductible est une bonne nouvelle, mais c'est contre-intuitif dans le cas indiqué ! Il faut donc vérifier que les intermédiaires n'appliquent pas automatiquement la déduction des versements volontaires suivant les cas de figure.

Une option sortie en capital souvent hasardeuse

Un autre argument utilisé pour nous convaincre du côté novateur du PER, c'est la possibilité de sortie en capital. « Les Français n'aiment pas la rente et ils veulent avoir la main sur leur épargne et en disposer à leur guise », nous dit-on. Si vous proposez le choix capital ou rente à un jeune retraité, la plupart du temps celui-ci préfère l’option capital. Ce qu’approuve souvent son conseil qui pourra en plus replacer ces capitaux.

Mais les Français n’ont aucune éducation financière pour gérer un capital retraite. Certains ne savent même pas gérer un budget. Le vrai besoin en matière de retraite est pourtant bien de dégager des revenus complémentaires et non du patrimoine.

Or la problématique de transformer un stock en flux n’est pas simple. Le rachat partiel automatique en assurance vie sur du fonds en euros en spéculant (ou en croisant les doigts) sur l'espérance de vie du retraité commence à battre de l'aile à l'heure où leur rendement peine presque à combler l'inflation. Les autres actifs restent chers, à l'instar de l'immobilier qui est en outre fortement taxé sur les revenus et lors de la succession. Il faut aussi penser à la gestion de ses actifs pour le 3ème et 4ème âge lorsque des soucis de dépendance peuvent devenir limitants pour gérer un patrimoine.

Plus on avance dans le temps, plus on s'aperçoit que les offres des assureurs se sont financiarisées. Cela les arrange, car cela réduit leurs engagements. La différence entre un compte titre et un contrat d'assurance 100% UC ne se limite bientôt plus qu'à la fiscalité. Or le premier métier d'un assureur était de fournir des garanties. La rente en fait partie, à savoir s'assurer que son client (et éventuellement celle de son conjoint) touche une «pension" qui lui soit versée jusqu'à la fin de sa vie. Le PER permet une sortie en capital ou rente.

Mais le diable se cache toujours dans les détails. La question ne porte pas vraiment sur l'intérêt de la rente, mais sur son mode de calcul au sein d'un PER. Sur certains contrats Madelin, il y a une garantie de table de mortalité. Sur les PER et à ce stade, certains assureurs indiquent que le texte ne le prévoit pas. D'autres à ce jour indiquent qu'il ne l'interdit pas…

Soyons concrets et prenons un exemple : Paul qui est né en 1967 a souscrit un contrat Madelin en 1996 avec une garantie de table de mortalité à l'adhésion. Sa table est une «TPRG93 ». Même si un PER proposait une table de mortalité garantie à l'adhésion et également sur tous les versements futurs, ce serait au mieux la table actuelle « TGF05 ». 15 % de plus pour son Madelin actuel et ce jusqu'à la fin de sa vie, c'est la différence de rente obtenue entre celle de son contrat Madelin et celle d'un PER à ce jour.

A condition qu'il conserve son Madelin SANS le transférer sur un PER ! Cela tombe bien, car les versements sur les contrats Madelin peuvent continuer comme c'est le cas actuellement. Ainsi, la nouveauté n'est pas toujours plus intéressante. Si par la suite le patrimoine évolue et qu'un capital est préférable, alors au moment de partir à la retraite et uniquement à ce moment-là, un transfert pourra être envisagé. Avant c'est une perte de chance compte tenu de la version de table de mortalité expliquée précédemment.

Des transferts vers le PER qui ne sont pas judicieux

On nous indique notamment au sein des compagnies d'assurance que les assurés possédant un contrat Madelin auront forcément un intérêt à transférer leur épargne sur un PER, comme si c'était une évidence, voire une obligation comme le précise même un assureur. Les intérêts des compagnies ne sont pas toujours ceux des assurés. Le PER permettrait à certains assureurs de sortir de leurs engagements Madelin qui leur coûte cher.

C'est une belle opportunité et c'est pourquoi ils mettent déjà la pression à coup de mailing et sur leurs réseaux de distribution pour promouvoir le PER. Les risques de défaut de conseil lors des transferts des contrats Madelin vers les PER risquent donc d'être légion !