Gestion d’actifs

Rester discipliné face à l'incertitude

Carmine de Franco

Les marchés sont avant tout des mécanismes sociaux, mais le recours à des facteurs pour les analyser en complément d'une gestion du risque apporte une base solide aux décisions d'investissement. 

 

 

 

 

 

« Il est difficile de faire des prédictions, surtout sur l’avenir », a dit une fois l’ancien joueur de baseball Yogi Berra (1). La tautologie capture une vérité frappante qui façonne notre vie et notre monde : il est difficile de faire des prévisions correctes et encore plus dans la durée. Pourtant, les prédictions de toute nature sont une composante cruciale du processus de décision d'investissement, en particulier pour les gestionnaires actifs, qui d'ici fin 2025, devraient superviser 145 000 Md$, l’équivalent de 1,4 fois le PIB mondial (2).

Anticiper l'imprévisible

De manière générale, les stratégies d’investissements visent soit à capturer la croissance à long terme des marchés financiers (gestion « passive »), soit à « battre » le marché en sélectionnant les « meilleurs » sociétés/ thématiques sur base de prédictions (gestion « active »). Savoir quelle approche est la meilleure entre gestion passive ou active, est et restera un débat à part entière. Il convient tout de même de noter que pour générer une meilleure performance, les gestionnaires d’actifs doivent démontrer un avantage prédictif et le maintenir dans le temps.

Cette condition met la barre très haut dans la mesure où les évènements inattendus rythment notre quotidien et sont, par définition, quasi imprévisibles. Il suffit pour cela d’observer ces dix dernières années : de l'élection du président Trump (deux fois), au Brexit, de la pandémie du COVID-19 aux conflits en Ukraine et au Moyen-Orient, sans oublier la crise énergétique et, bien sûr, l'essor de l'IA. Des possibilités considérées par certain au mieux, mais pas jamais des certitudes.

Avoir plus raison que tort

Roger Federer, a récemment révélé qu’il n’avait gagné que 54% de ses points dans sa longue et fructueuse carrière. 54%, soit à peine plus que la moitié, pour l’un des plus grands joueurs de tennis de tous les temps. Or, le succès de toute stratégie d’investissement active dépend étroitement de sa capacité à avoir en moyenne plus souvent raison que tort. Dans un monde qui semble de plus en plus incertain, produire de manière régulière des prévisions de qualité, semble de plus en plus difficile. Et alors même que cette incertitude favorisera l’émergence de nombreuses opportunités, si un gestionnaire d’actif perd l’avantage dont il pouvait jouir par la justesse de ses prévisions, le gain espéré pourrait ne plus être suffisant pour compenser le risque pris.

Pour ajouter au défi, nous pouvons nous attendre à ce que l'essor de l'intelligence artificielle (IA), le rôle des réseaux sociaux et la vitesse à laquelle la propagation de l’information affecte les marchés financiers, notamment les marchés actions, limiteront, dans le temps, les avantages informationnels que les gestionnaires d'investissement pouvaient avoir. Il est donc légitime de se demander comment des décisions d'investissement prises sur la base de prédictions financières, de plus en plus similaires à des paris proches du seuil 50/50, peuvent, en moyenne, aboutir à des résultats supérieurs.

Irrationalité des marchés

Pourtant, nous ne devons pas sous-estimer le fait que les marchés financiers sont avant tout des mécanismes sociaux, créés par l'homme. Les rationalistes voient les marchés comme des outils efficaces pour donner un prix au risque, tandis que les comportementalistes comparent souvent les marchés à un concours de beauté, dans lequel le gagnant n'est pas déterminé par une mesure objective, mais plutôt par son attrait pour la majorité des participants. La vérité, comme souvent, pourrait bien se trouver à mi-chemin.

Des lors, il est courant d'observer sur les marchés des phénomènes ou facteurs (ainsi appelés en finance) tels que des effets de tendance (« momentum ») ou les écarts de valorisations (« value ») qui peuvent être utilisés pour obtenir des rendements ajustés au risque robustes. Ces facteurs ont été observés sur différentes classes d’actifs depuis plus de cinquante ans, traversant des décennies de transformations financières, technologiques et sociétales. De plus, leur existence a une solide validité académique, ce qui prouve leur pertinence dans la gestion.

Capturer la prime

Investir selon ces idées n'a pas besoin d'un avantage fort en matière de prédiction. Par exemple, si nous basons nos décisions d'investissement sur un scénario macroéconomique ou sur l'essor d'une technologie donnée, le rendement de l'investissement dépendra, en fin de compte, du résultat de ces prédictions, ce qui est tout sauf certain. D'un autre côté, si nous basons ces décisions sur ces facteurs, nous n'élaborons pas un scénario probable pour l'avenir. Au lieu de cela, nous essayons de capturer la prime associée à ces facteurs. La persistance à long terme de facteurs tels que le momentum, value, quality ou low risk plaide donc en faveur d'approches factorielles, voire multifactorielles, qui peuvent bénéficier d'une meilleure diversification et d'une moins grande cyclicité dans leurs performances.

Pour cela, une implémentation disciplinée, systématique et dans la durée est nécessaire. Et la gestion du risque doit être au coeur du processus d'investissement : une stratégie d’investissement efficace doit se traduire par des choix de portefeuille clairs et marqués, pour qu'ils produisent des résultats tangibles. Elle doit éviter également que quelques décisions infructueuses, bien qu'inévitables, puissent avoir un impact démesuré sur le rendement global du portefeuille.

Donald Rumsfeld, ancien Secrétaire à la défense des Etats Unis, a dit qu’il y a les choses que nous savons que nous savons (« known knowns »), qu’il y a aussi les choses que nous savons que nous ne savons pas (« known unknows ») et qu’il y a enfin les choses que nous ne savons pas que nous ne savons pas (« unknown unknowns »). Or si l'on examine l'histoire, c'est dans cette dernière catégorie que se trouvent les cas difficiles. L'avenir, comme le passé, comportera beaucoup d'imprévus, il est néanmoins possible d’apprendre à être, à nous comporter et à agir, comme un meilleur investisseur. En utilisant les facteurs par exemple.

(1) « It’s tough to make predictions, especially about the future »

(2) « Global Assets under Management set to rise to $145.4 trillion by 2025 »