Dans un arrêt du 27 novembre 2024, la Cour de cassation met en garde sur la confusion entre usufruit et quasi-usufruit d’un compte-titres à la suite d’une succession. Un quasi-usufruit, donc le droit de disposer du capital, ne se présume pas.
Une dame est décédée en 2007, en laissant pour lui succéder son époux ainsi que leurs deux enfants. Le conjoint survivant a opté pour l'usufruit sur la totalité des biens de la succession. A l'actif de la communauté, figuraient divers comptes bancaires, dont des comptes titres en PEA.
Le veuf est décédé à son tour en 2016.
En avril 2017, la déclaration de succession a été enregistrée auprès du service des impôts. Une somme de 168 109 € a été portée au passif au titre d'une créance de restitution représentative des comptes bancaires au jour du décès de madame, dont son conjoint s'était vu attribuer l'usufruit.
En septembre 2017, l'administration fiscale a remis en cause la déduction de cette créance de restitution, en considérant que les comptes titres figurant à l'actif de la succession de madame n'avaient pas fait l'objet d'une convention de quasi-usufruit notariée ou enregistrée. Cette créance a été réduite de 168 109 € à 3 806 €, correspondant aux seules liquidités.
Plus de 32 000 € de redressement
En février 2018, l’administration a émis un avis de mise en recouvrement pour 32 860 € au titre des droits supplémentaires, outre 1 183 € d'intérêts de retard. En juillet elle a rejeté la réclamation contentieuse de deux descendants, lesquels ont alors assigné en nullité de la procédure de rectification.
L’administration gagne en première instance puis perd le procès en appel. Elle se pourvoit en affirmant que le quasi-usufruit conventionnel ne se présumant pas, il doit faire l'objet d'une convention écrite et qu'en conséquence, la déduction de la créance de restitution correspondante n'est permise qu'en présence d'un acte authentique ou sous seing privé dûment enregistré.
La cour d’appel de Rennes soutenait que la déclaration de succession, identifiant et renseignant exactement le montant des valeurs mobilières au jour du décès, est suffisante à autoriser la déduction de la créance de restitution à cette date.
Censure au profit de l’administration
Sur ce sujet du passif déductible c’est l'article 768 du code général des impôts qui fixe la règle : les dettes à la charge du défunt sont déduites lorsque leur existence au jour de l'ouverture de la succession est dûment justifiée par tous modes de preuve compatibles avec la procédure écrite.
Sur cette base, la Cour de cassation (Cass. com. 27 novembre 2024, n°23-12.151) déclare que « s'agissant d'un usufruit légal portant sur un portefeuille de valeurs mobilières, la seule déclaration de succession, identifiant et renseignant exactement le montant des valeurs mobilières au jour du décès, ne peut établir, à elle seule, le caractère certain de la dette de restitution consécutive à la disparition, constatée à la fin de l'usufruit, du portefeuille de valeurs mobilières et en permettre la déduction ».
Un cafouillage
Quelle étonnante confusion de la cour d’appel de Rennes (15 novembre 2022 n°20/03218) ! Tout d’abord, il s’agit bien d’un usufruit légal attribué au conjoint survivant (art. 757, C. civ.), lequel a donc le droit de faire l’usage qu’il voudra des fruits de ce portefeuille de titres, c’est-à-dire de dépenser les dividendes d’actions et intérêts d’obligations.
Mais, là, au décès du veuf usufruitier, on découvre qu’il ne reste rien de ce portefeuille (on apprend qu’il a été converti en assurance-vie). Présumant qu’il y a eu quasi-usufruit permettant à leur père de disposer de ce capital, les deux enfants portent en dette déductible son montant. Dès lors l’administration réplique en affirmant que la déclaration de succession prouve l’existence du portefeuille de titres mais c’est tout, elle ne prouve pas le quasi-usufruit convenu entre père et enfants après la succession de la mère. Il fallait, affirme à juste titre l’administration, une convention de quasi-usufruit soit notariée soit sous-seing privé mais enregistrée, cela de façon à permettre au père de disposer du compte-titres.
Abus de jouissance
L'usufruit des valeurs mobilières, qui ne sont pas consomptibles au premier usage, n'est pas un quasi-usufruit ! C’est même un abus de jouissance si l’usufruitier dilapide le capital du compte-titres qui devait revenir aux enfants. La Cour de cassation a confirmé la déchéance de l’usufruit d’une dame et exigé d’elle « de rendre la valeur qui aurait été celle du portefeuille en l'absence de ces prélèvements » et non pas seulement des retraits effectués (Cass. civ. 1ère 1, 16 juin 2011, 10-17.898).
Sans doute conviendrait-il que les notaires expliquent, s’agissant de l’usufruit d’un portefeuille de valeurs, ce que son bénéficiaire a le droit de faire (toucher les revenus, art. 587 C. civ.) et de ne pas faire (vendre les titres). L'usufruit des choses consomptibles, c'est-à-dire des choses qui se consomment au premier usage, autrement dénommé quasi-usufruit, découle de la loi et s'applique aux seules liquidités compte tenu de leur consomptibilité et de leur fongibilité.
JDE