Fiscalité

Démembrement de propriété : attention à l’abus de jouissance

testament

Ce recours est peu connu, le code civil permet aux nus-propriétaires de se retourner contre l’usufruitier qui a gravement laissé dépérir le bien qui lui a été confié. Des arrêts récents illustrent cette situation.

Dans le cadre d’une succession il est courant que le conjoint survivant reçoive l’usufruit d’une propriété immobilière ou d’un portefeuille de valeurs. Ce pourrait être le cas aussi d’une assurance-vie en cas de clause bénéficiaire démembrée.

Ce veuf ou cette veuve n’a pas forcément l’envie ou les moyens d’entretenir le bien confié, surtout si ce n’est pas sa résidence principale. Les nus-propriétaires peuvent dès lors s’inquiéter de la dévalorisation du bien et de la lourdeur des travaux à venir. Mais il existe une disposition peu connue du code civil qui leur permet de se retourner contre l’usufruitier, c’est l’article 618 du code civil.

Lequel article prévoit une déchéance de l’usufruit du fait d’une inaction (lorsque l’usufruitier laisse dépérir le bien démembré par manque d’entretien) ou d’une action négative (s’il commet des dégradations).

Une affaire récente illustre pleinement cette situation (Cour de cassation, civ. 1ère, 2 octobre 2024, n°22-15.701). Les juges du fond sur la base de l’expertise d’une maison à 133 000 € contre 290 000 € lors de la succession ont ordonné l’extinction de l’usufruit de la veuve (confirmation de Rouen, 1ère ch. civile, 2 mars 2022, n° 19/01859).

La Cour de cassation déclare que « la carence totale et ancienne de [cette veuve] dans l'exercice de son usufruit était à l'origine de la dégradation manifeste de l'immeuble imposant la réalisation de travaux lourds et onéreux avant toute entrée dans les lieux. Elle en a déduit que la gravité de la faute commise devait être sanctionnée par l'extinction absolue de l'usufruit ». Pour autant, la demande de dédommagement des enfants nus-propriétaires, sur la base du devis de remise en état pour cette incurie, a été rejetée « en se fondant sur l'absence de production d'éléments précis sur la nature, l'ampleur et l'évaluation du préjudice ».

Les juges du fond ont un large pouvoir d'appréciation sur la gravité des reproches pour l'application de la sanction édictée par l'article 618 du code civil, lequel concerne tout actif, pas seulement immobilier. L’abus peut être invoqué pour la mauvaise gestion d’un portefeuille de valeurs mobilières démembré. En l’occurrence, une veuve avait largement pioché dans le portefeuille reçu en usufruit après le décès de son mari (près de 114 000 €) alors qu’elle « a la charge d'en conserver la substance et de le rendre ». La Cour de cassation a confirmé la déchéance de l’usufruit de cette dame et lui a imposé « de rendre la valeur qui aurait été celle du portefeuille en l'absence de ces prélèvements » et non pas seulement des retraits effectués (Cass. civ. 1ère 1, 16 juin 2011, n°10-17.898).

Une appréciation de la gravité

Les juges peuvent, suivant la gravité des circonstances, soit rejeter la demande de déchéance, soit prononcer l'extinction absolue de l'usufruit, soit, comme en décide par exemple la cour d'appel de Douai (30 juin 2022, RG n° 20/04609), attribuer la jouissance du bien au nu-propriétaire sous la charge de régler une rente viagère annuelle à l'usufruitier.

Dans une affaire de démembrement de parts de SCI (Cass. civ. 3e, 19 septembre 2024, pourvoi n° 22-18.687), le nu-propriétaire qui détenait près d’un tiers des parts en nue-propriété, soutenait que l’usufruitier en revendiquant l’attribution du dividende issu du prix de vente de l’actif de la société commettait un abus de jouissance justifiant la déchéance de son droit d’usufruit et le remboursement du dividende qu’il avait perçu.

Dans cette affaire le nu-propriétaire assimilait le dividende versé à un dépérissement puisque son droit devenait sans substance. La cour d’appel ne trouva rien à redire car l’usufruitier mis en cause a « toujours œuvré dans l’intérêt de la société ».

A contrario celui qui se désintéresse de la société et de ses actifs prendrait le risque de se voir reprocher un abus de jouissance et une action en déchéance de son droit.

 

JDE